Émerveillement, nostalgie, tristesse, bonheur… Lorsqu’on part pour un voyage au long cours ou pour une expatriation, les émotions sont nombreuses et profondes. Généralement, en restant longtemps dans un pays étranger, pendant plusieurs mois ou plusieurs années, nous passons principalement par quatre états d’esprit. Ces quatre phases, assez courantes, sont dues aux changements et aux chocs culturels, vécus intensément.
1. La navigation féerique : la phase de l’émerveillement
Tout est beau, tout est différent, tout est merveilleux ! Épris de liberté et enivré par la nouveauté, on navigue sur un océan placide, le soleil et le vent caressant notre visage heureux. En arrivant dans un nouvel environnement, on s’ouvre à un monde parallèle, on entre dans une autre réalité, envoûtante. Tout cela donne l’impression d’être dans un rêve et offre une sensation d’euphorie. Charmé et fasciné par ce nouveau monde, on découvre des endroits inconnus, on remarque les différences culturelles, on goûte de nouvelles saveurs, on porte un nouveau regard ! Un peu naïf, comme un enfant, on est curieux de tout, on s’émerveille de détails auxquels les locaux ne font plus attention. Seuls les aspects positifs font surface. Le début du voyage est magique : c’est un ensorcellement.
Cette première phase dure en général quelques semaines. Les personnes n’expérimentant que de courts séjours touristiques restent seulement dans cette première phase enivrante, sans se retrouver face au redoutable mal du pays.
2. La tempête : la phase du mal du pays
A force de naviguer en haute mer, des nuages hostiles commencent à surgir, et les flots se révèlent de plus en plus violents… Le mal de mer apparait, et des sentiments négatifs commencent à émerger. En effet, en restant longtemps dans le pays d’accueil, on le découvre davantage, sous ses différentes facettes : ses mœurs, ses traditions, sa politique, ses lois, ses paradoxes…. On prend donc aussi conscience de ses inconvénients et de ses failles. De ce fait, les chocs culturels sont nombreux, et l’incompréhension commence à faire partie du quotidien. Sans compter que, dans des pays utilisant une langue différente, s’ajoutent les difficultés linguistiques. Communiquer, s’exprimer et comprendre deviennent parfois des tâches ardues, qui peuvent engendrer des malentendus ou des difficultés à créer des liens sociaux. Alors, l’agacement, l’amertume et la frustration effleurent parfois nos esprits.
En plus de ces obstacles, les proches, tellement éloignés, commencent à manquer… Il faut faire face à l’absence et au manque, ce qui a tendance à accentuer le sentiment de solitude. C’est alors qu’on commence à remettre en question ses choix… On se demande ce qu’on fait là, dans ce pays lointain, et on s’interroge même sur un éventuel retour prématuré.
Même trempé, il faut bien continuer à tenir la barre ! Pour vaincre cette nostalgie, on doit faire preuve de volonté et d’ouverture d’esprit. C’est un défi à relever. Pour se sentir mieux, on peut garder un contact régulier avec les proches restés au pays d’origine, et continuer à découvrir le nouveau pays, à sortir, à se faire de nouveaux amis, à rencontrer des locaux et des expatriés (l’avantage de ces derniers, c’est qu’ils pourront comprendre le sentiment du mal du pays).
Cette phase dure plus ou moins longtemps, quelques semaines ou quelques mois, cela dépend vraiment des personnes et de leur capacité d’acclimatation. Nombreux sont les voyageurs qui préfèrent rentrer au port face à ces difficultés… Mais si on persévère et qu’on ne se décourage pas, alors on entre dans une autre phase : celle de l’adaptation.
3. Le pied marin : la phase de l’adaptation
Petit à petit, à force d’affronter de violentes vagues et des bourrasques inattendues, on commence à s’y habituer, et à savoir comment lever les voiles malgré la force du vent. Le mal de mer a disparu. Apaisé, on sourit en humant l’air marin… On s’acclimate progressivement, puis on s’intègre totalement dans cet univers étranger. Et on finit même par l’aimer !
En fait, on s’est vraiment imprégné de la culture locale, on se débrouille désormais dans la langue du pays, nos habitudes alimentaires ont changé, on se sent à l’aise dans ces endroits auparavant inconnus, on apprend à gérer et à vivre avec le sentiment de manque dû à l’absence des proches, notre réseau d’amis sur place s’est développé… Bref, on se sent chez soi. Le pays étranger n’est plus si étranger : il fait partie de nous, de notre histoire. Cette expérience nous a permis d’apprendre, de changer, de mûrir, d’évoluer. Une fois arrivé à cette phase, il est possible de rester indéfiniment dans le pays d’accueil, car, malgré nos origines étrangères, on se sent local, on habite ici, et on est attaché pour toujours à ce pays.
4. Retour au port d’attache : la phase du choc de retour
Le vent nous porte vers nos terres d’origines. Notre cœur s’affole et tambourine : enfin, on s’apprête à retrouver notre famille et des amis du pays ! Quand la proue du bateau entre dans le vieux port, la joie est poignante. Les retrouvailles avec les proches sont émouvantes, et on se sent heureux de revenir dans son ancien univers. En plus, un sentiment victorieux fait surface : on a réussi ce challenge et on est revenu ! Dans un premier temps, l’euphorie du retour est intense.
Pourtant, dans un deuxième temps, après quelques semaines, on se rend compte qu’on tangue toujours… Trop habitué à la houle et aux flots, on a le mal de terre. Alors, on se sent en décalage avec ceux qui sont restés. L’entourage s’est réhabitué à notre présence, tandis que l’on se retrouve face à des difficultés pour revenir dans cette ancienne vie que l’on avait quittée. Attaché à l’autre pays, on éprouve une nostalgie profonde, cet univers nous manque… On a l’impression d’être un étranger dans son propre pays, face à des chocs culturels auxquels on ne s’attendait pas, et qu’on n’aurait jamais imaginés ! Ce sentiment de déprime est appelé communément le choc du retour, ou choc culturel inversé. On a évolué dans un autre pays, et maintenant, il faut étonnement se réinsérer de nouveau dans son pays d’origine.
Toutefois, si on persévère, si on reste et s’intègre à nouveau… Le choc du retour finit par s’en aller, tout comme la phase du mal du pays, auparavant. C’est un cycle. Il faut se réadapter !
Pour avancer, il faut rester dans une dynamique de voyage : (re)découvrir des endroits de notre pays, faire des activités que l’on aime, se lancer dans des projets, passer du temps avec les membres de sa famille et des amis, rencontrer de nouvelles personnes, savourer des spécialités de la région qui nous ont manqué (fromages !!), et aussi garder des habitudes ou des éléments culturels provenant du pays étranger.
Petit à petit, on reprend nos marques dans le pays natal, tout en conservant une partie de la culture étrangère dont on s’est imprégnée.
Mais le désir de reprendre la route demeure, toujours… Bientôt, l’appel du large retentira à nouveau… Et on lèvera encore les voiles vers de nouveaux horizons !
Bon vent !
Mathilde Pichot
Texte et photos
Photos prises autour de Belle-Île (France)
« Quelle patrie ai-je, moi ? Ma terre, à moi, où est-elle ? Où est la terre où je pourrais me coucher ?
En Algérie, je suis une étrangère et je rêve de la France ; en France, je suis encore plus étrangère et je rêve d’Alger. Est-ce que la patrie, c’est l’endroit où l’on n’est pas ?… »
– Mathilde, dans Le Retour au désert de Bernard-Marie Koltès.